Mois : Janvier 2024

Alphabet -130 années d’Anny Klawa-Morf

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Anny Klawa-Morf est morte en 1993, dans sa 100e année de vie à Berne. En 2024, à l’occasion de son 130ème anniversaire, cet ouvrage associe chaque lettre de l’alphabet à des sujets importants de sa vie.

A comme Anny Klawa-Morf
B comme Biographie
C comme Charité
D comme Défilé
E comme Ennuis financiers
F comme Féminisme
G comme Groupe de camarades
H comme Horrible faim
I comme Incarcérée
J comme Jeunes organisés
K comme Klawa, Janis
L comme Länggasse
M comme Médias
N comme Nettoyer, coudre, tisser, écrire
O comme Ordre, propreté
P comme Politicienne
Q comme Quintes et blessures
R comme Rare oratrice
S comme Socialiste
T comme Transferts
U comme Usine
V comme Verdingkinder (enfants placés)
W comme World Wars
X comme Karl MarX
Y comme EmmY et RösY
Z comme Zurichoise – La grève générale de 1912

A comme Anny Klawa-Morf

Anny Klawa-Morf était une pionnière de la lutte socialiste pour les droits des ouvriers et ouvrières et en particulier pour les droits des femmes. Notre fondation porte son nom. Elle est née le 10 janvier 1894 et a vécu jusqu’à l’âge de 99 ans.  Ce qui veut dire qu’elle a vécu presque un siècle entier et plusieurs événements historiques. En tant que pionnière du mouvement social pour les salaires justes et pour les droits des femmes, Anny Klawa-Morf a été confrontée à de nombreux obstacles et difficultés, mais elle n’a jamais capitulé.

Elle a grandi dans un milieu modeste et, dès l’âge de 14 ans, a travaillé comme ouvrière dans l’industrie textile. Jeune et curieuse, elle s’est engagée dans le mouvement ouvrier zurichois et en particulier dans le comité de la jeunesse socialiste, au sein duquel elle a fondé le premier groupe de jeunes filles socialistes de Suisse en 1910. Elle était également très bien connectée au sein du Parti socialiste suisse.

En 1912, elle a participé à l’organisation de la grève générale zurichoise et, pendant la Première Guerre mondiale, elle a soutenu les protestations pacifistes du mouvement ouvrier. En parallèle, elle a suivi des cours à l’université de Zurich. En 1919, la jeune femme s’est rendue à Munich pour participer à la mise en place de la République des Conseils de Munich, une tentative d’établir une république socialiste. Elle a travaillé dans le bureau de l’Armée rouge comme secrétaire d’Ernst Toller et a assisté à l’effondrement de la République des Conseils de Bavière. A partir de 1921, elle a vécu à Berne. En 1922, elle s’est mariée avec Janis Klawa, journaliste et révolutionnaire letton et, la même année, elle a constitué l’organisation socialiste Kinderfreunde (les Amis des enfants de Berne, plus tard Faucons Rouges) qu’elle a dirigé jusqu’en 1967.

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B comme Biographie

Die Welt ist mein Haus (Le Monde est ma maison) est le titre de la biographie d’Anny Klawa-Morf rédigée par Annette Frei Berthoud. Une nouvelle édition remaniée paraîtra au printemps 2024, avec des contributions du professeur d’histoire Jakob Tanner, de l’auteure Annette Frei Berthoud et des directrices des Archives Gosteli pour l’histoire des femmes, Simona Isler et Lina Gafner. Le livre est édité par la Fondation Anny Klawa-Morf et comprend également une grande partie iconographique avec des photographies inédites.

Le titre fait référence aux convictions d’Anny Klawa-Morf en tant que socialiste et militante pour les droits des femmes. Dans sa biographie, elle explique : « Il devenait de plus en plus clair pour nous que la position de la femme devait être modifiée. Dans sa conférence, Madame Ostersetzer a dit : La maison n’est plus le monde de la femme, mais le monde est sa maison ».
Die Welt ist mein Haus (Le Monde est ma maison)

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C comme Charité

Anny Klawa-Morf a dû assumer dès son plus jeune âge de grandes responsabilités au sein de sa famille. Dans un foyer où le père était absent et la mère active, elle aidait au travail domestique. Elle a également travaillé dans différents endroits et villes en tant que « bonne », « femme de chambre » ou gouvernante dans plusieurs familles afin de gagner de l’argent et subvenir aux besoins de sa famille. Plus tard dans sa vie, elle a pris en charge le foyer de son mari Janis Klawa et de sa fille, issue d’un premier mariage, et a aussi accueilli sa mère chez elle. De plus, le couple Klawa-Morf s’occupait régulièrement d’enfants et d’adolescents qui n’avaient pas de foyer. En 1922, Anny Klawa-Morf fonda l’organisation de jeunesse socialiste Rote Falken (les Faucons Rouges), qu’elle dirigea pendant plus de quatre décennies et qui s’occupa de centaines d’enfants issus de familles ouvrières.

Anny Klawa-Morf a également pris en charge des activités de care en dehors du foyer. Pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale, elle s’est engagée pour la Croix-Rouge à Zurich et à Chiasso, notamment pour le transport de matériel et de blessés. Pendant la guerre civile espagnole des années 1930 entre les forces démocratiques et le général de droite Francisco Franco, futur dictateur, elle s’est engagée dans l’aide à l’Espagne de l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO). Elle a ainsi organisé de nombreuses actions de soutien dans le canton de Berne. Avec des bénévoles de l’Aide suisse à l’Espagne, elle a cultivé des aliments et les a envoyés, avec des vêtements et d’autres marchandises, dans les camps de réfugiés en France et en Espagne. Au total, plus de 800 tonnes de biens de première nécessité ont été collectées en Suisse. Anny Klawa-Morf a elle-même visité plusieurs camps de réfugiés de la guerre civile et a contribué au regroupement des familles.

Photo : Aide à l’Espagne provenant du canton de Berne: à l’école Munzinger à Berne, des biens de secours sont chargés sur un camion, 8 mars 1938, au premier plan Erwin Wyss et, derrière les sacs, Anny Klawa-Morf, la directrice.

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D comme Défilé

Anny Klawa-Morf a participé et organisé de nombreuses manifestations et grèves, comme la grève générale zurichoise en 1912 ou le Congrès de Bâle pour la paix organisé par la Deuxième Internationale la même année. Le Congrès et la manifestation qui y était liée avaient été organisés suite aux guerres des Balkans de 1912/13 et par crainte d’une grande guerre qui s’étendrait. Lors de la manifestation, à laquelle participèrent plus de 500 manifestants internationaux, Anny Klawa-Morf écouta le discours du célèbre socialiste Jean Jaurès. Les discours, ainsi que la marche pour la paix à travers le centre-ville de Bâle et le manifeste pour la paix rédigé, eurent un rayonnement européen. La période entre le tournant du siècle et la Première Guerre mondiale a été l’une des plus intenses de l’histoire suisse en termes de grèves. La grève générale zurichoise de 1912, coorganisée par Anny Klawa-Morf, en est un événement important. Cette grève était motivée par la forte inflation, les bas salaires et les longues heures de travail. En outre, un ouvrier avait été tué par un briseur de grève lors d’une grève de l’association des métallurgistes à Zurich.

Anny Klawa-Morf a également participé à la grève nationale historique de novembre 1918. En raison de la Première Guerre mondiale, les entrepreneurs (surtout dans l’industrie d’exportation) réalisaient de plus en plus de bénéfices et le fossé entre les entreprises et les travailleurs se creusait. L’armée et la police ont réprimé les manifestations, notamment à Zurich le 10 novembre 1918. Anny Klawa-Morf a participé à l’impression et à la distribution de tracts pour la grève et a vu de loin les affrontements entre les ouvriers, la paysannerie et la police. Suite à la grève, 3500 personnes, principalement des ouvriers des chemins de fer, ont été poursuivies en justice. Cependant, la grève nationale a également été un tremplin pour la mise en œuvre de plusieurs réformes. Ainsi, le temps de travail a été réduit à 48 heures par semaine, l’industrie d’exportation a accepté de négocier avec les syndicats, de nouvelles conventions collectives de travail ont été conclues et l’Assurance-vieillesse et survivants (AVS) a été créée.

Photo : 1er mai à Zurich, vers 1910 – « A bas les apprentis-victimes », « A bas les armes »;
devant à gauche avec une écharpe : Anny Klawa-Morf.

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E comme Ennuis financiers

Anny Klawa-Morf a grandi dans le milieu ouvrier du début du 20e siècle. Sa famille était pauvre : ses deux parents, ses deux sœurs et elle-même ont dû travailler dès l’enfance pour gagner le minimum vital. Lorsqu’elle était écolière, Anny Klawa-Morf cousait des boutonnières sur des chemises chez elle après l’école, souvent jusque tard dans la nuit. Elle gagnait ainsi de l’argent supplémentaire pour sa famille. Ses parents ont dû faire face  au chômage et à des emplois changeants, par exemple dans une usine automobile ou textile. La famille n’avait souvent pas assez d’argent pour le loyer, de nouvelles chaussures ou de la nourriture, notamment parce que le père buvait souvent son salaire. Le manque d’argent a entraîné de nombreux changements de logement. Les privations de son enfance et de sa jeunesse ont marqué Anny Klawa-Morf qui, dans sa vie d’adulte, s’est toujours engagée pour de meilleurs salaires et conditions de vie pour la classe ouvrière. Dans sa biographie, elle raconte comment, au début de son activité syndicale, elle a perdu sa nervosité avant de parler en public : « Je n’imaginais pas cette tâche facile, mais ce n’était pas si difficile de parler de ce que je vivais moi-même : la faim, la misère et la détresse ».
Die Welt ist mein Haus (Le Monde est ma maison)

Photo: Centrale suisse du travail à domicile ; travailleuse à domicile âgée à sa machine à coudre, Zurich env. 1890-1910.

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F comme Féminisme

Anny Klawa-Morf s’est fortement engagée pour les droits des femmes dès son plus jeune âge. La Suisse du début du 20e siècle était marquée par une profonde inégalité de traitement entre les femmes et les hommes. Adolescente, elle a dû se battre pour pouvoir participer à des activités de loisirs, car celles-ci étaient souvent réservées aux garçons. En réaction, elle fonda à 17 ans le Groupe socialiste de jeunes filles de Zurich.

En tant qu’ouvrière du textile, Anny Klawa-Morf a fait de nombreuses expériences de discrimination salariale. Dans sa branche, les femmes ne gagnaient généralement que la moitié du salaire des hommes pour le même travail. Elle commença à s’engager pour l’égalité salariale au sein du syndicat des ouvrières – et a été licenciée pour cette raison. Lorsque le mouvement des femmes s’est quelque peu essoufflé en Suisse après la Première Guerre mondiale dans les années 1920, elle a écrit plusieurs articles dans le journal Berner Tagwacht et a tenté de remobiliser le mouvement des femmes. En 1928, elle a en outre mené des études sur les salaires et le travail des femmes, qui ont montré que les femmes étaient surtout actives dans les domaines de l’assistance sociale, de la santé et de l’éducation. Elle a également analysé les salaires des travailleurs et a conclu que les femmes gagnaient clairement moins que les hommes, même à travail égal. En 1922, elle a fondé l’Organisation socialiste des Amis des enfants de Berne, plus tard Rote Falken (les Faucons Rouges), où elle a toujours insisté pour que les filles et les garçons participassent ensemble aux manifestations et assumassent les mêmes tâches. Son travail au sein des Rote Falken s’inscrivait dans la continuité de son engagement antérieur pour la participation et la valorisation des femmes.

Dès 1929, elle a récolté des signatures en faveur du droit de vote des femmes et, après des décennies d’engagement dans le mouvement féministe, a assisté à son adoption en 1971. Pour atteindre ses objectifs politiques, Anny Klawa-Morf a également forgé des alliances avec des femmes bourgeoises.

Photo : Anny Klawa-Morf en 1911 sur l’Uetliberg avec une jupe-culotte. A l’époque, la jupe-culotte était encore un vêtement relativement nouveau et faisait beaucoup parler de lui.

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G comme Groupe de camarades

En 1911, à l’âge de 17 ans, Anny Klawa-Morf a adhéré au Parti Socialiste suisse afin de s’engager pour les droits des ouvriers. Issue d’une famille ouvrière pauvre, elle a dû travailler à l’usine dès l’âge de 14 ans pour gagner de l’argent afin de subvenir aux besoins de sa famille. Elle a alors été confrontée à des conditions de travail désastreuses, à de mauvais salaires et à l’inégalité de traitement entre les hommes et les femmes. Elle aspirait à un ordre social plus juste, c’est pourquoi elle s’est engagée en politique. En 1912, elle a participé à l’organisation de la grève générale de Zurich et, pendant la Première Guerre mondiale, elle a soutenu les revendications du mouvement ouvrier pour la paix. Pendant ses années de militantisme, elle a noué de nombreuses amitiés et fait la connaissance de plusieurs compagnons de lutte nationaux et internationaux, parmi lesquels Willi Münzenberg, Fritz Platten, Rosa Bloch-Bollag et Vladimir Lénine, qui vivait en exil en Suisse. Elle s’est surtout liée d’amitié avec la femme de ce dernier, Nadeschda Krupskaja. En 1919, jeune femme, Anny est allée à Munich. Elle travailla au bureau de l’Armée rouge en tant que secrétaire d’Ernst Toller et assista à l’effondrement de la République des Conseils de Munich. Elle vécut à Berne à partir de 1921, travailla dans une fabrique de soie à partir de 1922 et adhéra au Parti Socialiste, section locale Länggasse, dont elle resta membre pendant plus de soixante-dix ans, accueillant souvent des camarades internationaux à Berne.

C’est également à Berne qu’elle fonda l’Organisation socialiste des Amis des enfants de Berne, qui deviendra Rote Falken (les Faucons Rouges). Avec les Rote Falken, elle voulait créer des activités de loisirs pour les enfants issus de familles ouvrières tout en transmettant aux jeunes des valeurs telles que la solidarité et l’égalité de traitement.

Photo : Anny Klawa-Morf tient un discours le 7 avril 1918 à Leuzigen, dans le canton de Berne. Une assemblée réunie en mars de la même année est attaquée à coups de fléaux et de couteaux par une milice conservatrice. Le rassemblement d’avril est ensuite surveillé par le syndicat des métallurgistes.

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H comme Horrible faim

Dans sa jeunesse et à l’âge adulte, Anny Klawa-Morf a souvent souffert de la faim. Sa famille n’avait pas assez d’argent pour se procurer suffisamment de nourriture ou de charbon et de bois pour se chauffer. Plus tard, dans sa jeunesse et pendant ses emplois de jeune adulte, elle n’avait souvent que peu d’argent pour acheter des denrées alimentaires. Dans sa biographie, elle décrit comment, à part le pain, les pommes de terre et le lait, il ne restait souvent que peu d’argent pour d’autres aliments. La possibilité de cultiver ses propres légumes dans un jardin attenant à l’appartement fut une aubaine. Ces conditions de vie n’étaient pas un cas isolé : la pauvreté et la faim étaient répandues dans le milieu ouvrier au début du 20e siècle en raison des mauvais salaires et des mauvaises conditions de vie. En 1919, Anny Klawa-Morf s’est engagée dans l’Armée rouge à Munich, ce qui l’a conduit la même année à se faire emprisonner à la prison de Stadelheim près de Dachau. Dans une lettre adressée à sa mère pendant la détention, elle décrit la faim qui tenaille et les repas de manière humoristique : « Maintenant, tu as un petit exemple de la façon dont le temps passe de trois à cinq heures, quand nous mangeons la nuit, une soupe avec cinquante grammes de pain. Ici, tu pourrais encore apprendre à cuisiner. Mais regarde, je suis bien intentionnée, car tu as ton propre jardin, et il y a tant de choses que tu plantes et dont tu ne te sers pas tout à fait, par exemple les racines de poireau, qui font une excellente soupe, un peu de farine et d’eau et le souper est prêt. Et il y a encore bien d’autres choses, je te le dis, à l’avenir, cuisine simplement tout, ce qui pousse au-dessus de la terre comme ce qui pousse en dessous, car j’ai appris cela ici et je l’apprendrai si je deviens un jour une bonne ménagère, ce dont je doute. Maintenant, continuons le texte, j’aurais bientôt oublié, la journée n’est pas encore finie, et j’ai encore de la lumière dans ma chambre qui me rappelle qu’il n’est pas encore sept heures, et ma compagne la faim, elle fait des ravages tout à fait inquiétants ».

Photo: Anny Klawa-Morf et Hans Lüthi mangeant de la soupe et écalant un œuf, Pâques 1936.

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I comme Incarcérée

En raison de ses activités politiques, Anny Klawa-Morf a été emprisonnée à plusieurs reprises. En 1919, elle a rejoint l’Armée rouge à Dachau, près de Munich, où elle a travaillé comme secrétaire d’Ernst Toller dans la République des Conseils de Munich et a assisté à son effondrement. Elle fut arrêtée avec d’autres socialistes et envoyée à l’âge de 25 ans à la prison de Stadelheim, où elle fut détenue au péril de sa vie – certains de ses collègues furent fusillés par les forces de sécurité allemandes pour leur rôle dans la République des Conseils. Elle a heureusement pu retourner en Suisse en juin 1919.

Suite à sa création du Groupe de jeunes filles socialistes en 1911 et son activité de syndicaliste, qui s’engageait pour de meilleurs salaires et pour l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes, elle fut inscrite sur une « liste noire » des employeurs en Suisse et eut donc du mal à trouver du travail. De plus, les expériences vécues lors de sa détention à Munich lui pesaient beaucoup, raison pour laquelle elle décida de quitter à nouveau la Suisse et d’accepter un emploi de « femme de chambre » dans un ménage à Pise. Cependant, en 1921, aux débuts du fascisme italien, elle fut de nouveau arrêtée à Pise parce qu’elle se déclarait ouvertement socialiste. Pendant trois mois, elle fut à nouveau emprisonnée en Italie. En août 1921, elle put quitter la prison et retourner en Suisse.

Photo : Anny Klawa-Morf devant une grande porte en arc de cercle, Abano 1951.


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J comme Jeunes organisés

En 1922, Anny Klawa-Morf a fondé l’organisation socialiste des Amis des enfants de Berne (plus tard Rote Falken, les Faucons Rouges). Elle a dirigé l’organisation jusqu’en 1967, soit pendant plus de 40 ans. Les Rote Falken étaient l’œuvre de la vie d’Anny Klawa-Morf. Dans une maison construite spécialement à cet effet par son organisation à Belp, elle s’engageait avec des bénévoles et proposait des excursions, des camps, des activités culinaires ou des après-midi de bricolage aux enfants et aux jeunes de la commune – un peu comme une organisation de scoutisme. Il était important pour elle que les enfants n’aillent pas seulement à l’école ou travaillent, mais qu’ils vivent aussi des jours heureux pendant leur temps libre. Les filles et les garçons pouvaient participer à ses activités, ce qui n’allait pas de soi à l’époque. Elle essayait de sensibiliser les enfants et les jeunes à une société solidaire, s’engageait pour qu’ils lisent le journal et insistait pour qu’ils suivent une formation. Il était également important pour elle de transmettre aux jeunes, à travers l’organisation, des valeurs telles que la solidarité et l’égalité de traitement.

A plusieurs reprises, elle a accueilli dans son foyer des enfants qui n’avaient plus de famille ou de perspectives d’avenir, et ce pendant des années, jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de mener leur vie de manière autonome une fois leur formation terminée.

Photo : Enfants et, parmi eux, Anny Klawa-Morf, Camp des Amis des enfants de Berne/Faucons Rouges, Caslano 1935.

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K comme Klawa, Janis

En 1922, Anny Klawa-Morf s’est installée à Berne et a adhéré au Parti Socialiste de la Länggasse à Berne. C’est là qu’elle a fait la connaissance de son futur mari, Janis Klawa, un journaliste et révolutionnaire letton. Janis Klawa était tombé amoureux d’elle et lui faisait la cour lors de longues promenades. Anny Klawa-Morf écrit dans sa biographie qu’elle a d’abord systématiquement rejeté Janis, car elle avait eu de mauvaises expériences avec les hommes et ne voulait pas devenir femme au foyer. Elle a commencé à travailler chez lui comme femme de ménage. La cohabitation s’est transformée en amour. Janis Klawa vivait avec sa fille à Berne, sa première femme vivait encore en Lettonie. Après leur divorce, Anny Klawa-Morf et lui se sont mariés le 11 novembre 1922. Dans sa biographie, elle décrit sa vie avec Janis Klawa comme la période la plus heureuse et la plus libératrice de sa vie.

Elle dirigeait l’organisation de jeunesse des Amis des enfants de Berne (plus tard Rote Falken, les Faucons Rouges), s’occupait du ménage, suivait des cours à l’université, apprenait à écrire à la machine, rédigeait des articles pour des journaux socialistes et copiait et rédigeait à la machine les articles écrits à la main par son mari. Janis mourut en 1956 à l’âge de 80 ans, le couple était marié depuis plus de 30 ans.


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L comme Länggasse

En 1922, Anny Klawa-Morf a déménagé à Berne, dans le quartier de Länggasse, où elle est restée toute sa vie. Auparavant, elle avait vécu à Bâle, en Thurgovie, à Zurich, à La Chaux-de-Fonds, à Dachau près de Munich, à Milan et à Pise.

Enfant, elle a dû changer fréquemment d’appartement en raison des nombreux emplois et périodes de chômage de son père ainsi que du manque d’argent de la famille. Jeune adulte, elle a également souvent déménagé, notamment en raison de conflits liés à son travail politique avec les forces de sécurité. La Länggasse est devenue son domicile d’adoption à partir de 1922 et elle y est restée jusqu’à l’âge de 100 ans en 1993. Après quarante ans passés dans le même appartement, elle a dû quitter les lieux en 1973 pour cause de besoin personnel du bailleur. Elle trouva un nouvel appartement dans le quartier de la Länggasse. Elle a ainsi été un membre engagé de la section locale Länggasse du Parti Socialiste pendant plus de 70 ans.

Photo : Fête de Noël chez les Klawas à Berne, beaucoup en uniformes des Faucons Rouges, 1942.

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M comme Médias

Anny Klawa-Morf rédigeait régulièrement des articles pour des médias du mouvement ouvrier, comme le Berner Tagwacht (sous le pseudonyme de « $ »), Aufstieg ou Frauenrecht. Avec ses contributions, elle voulait attirer l’attention du public sur des thèmes qui, selon elle, n’étaient pas suffisamment abordés dans les médias, comme les droits des femmes au début du 20e siècle.

Elle a également été mentionnée dans divers médias. Dans un numéro de la Schweizer Illustrierte de 1919, elle était par exemple représentée sur une photo de groupe avec d’autres socialistes. Ils étaient qualifiés de « leaders bolcheviks suisses ». Il existe de nombreux autres articles de presse de et sur Anny Klawa-Morf, ainsi que deux films (Ich ha nie ufgä, 1982, d’Ellen Steiner et Annette Frei Berthoud, et Anny Klawa-Morf – Nachdenken über eine Arbeiterfrau, 1994, de Hans-Dieter Rutsch de Potsdam). En 1991, est paru « Die Welt ist mein Haus » (Le Monde est ma maison : la vie d’Anny Klawa-Morf), rédigé par Annette Frei Berthoud. Cette biographie sera rééditée en 2024 avec de nouvelles contributions du professeur d’histoire Jakob Tanner, de l’auteure Annette Frei Berthoud et des directrices des Archives Gosteli pour l’histoire des femmes, Simona Isler et Lina Gafner. Le livre sera publié par Buch & Netz Verlag et comprendra une partie iconographique avec des photographies en partie inédites.

Dans la revue mensuelle de l’Union syndicale suisse, volume 20 (1928), Anny Klawa-Morf a écrit un article intitulé Frauenlöhne und Frauenarbeit (salaires et travail des femmes), dans lequel elle analysait les salaires des ouvrières du textile, leur travail, la sous-alimentation et la charge supplémentaire liée au travail ménages. L’article commence ainsi :

Salaires et travail des femmes

Les salaires et le travail des femmes sont des problèmes qui intéressent surtout les syndicats. Si, sur les quelque 130 000 femmes travaillant dans les usines en Suisse, 18 000 sont affiliées à l’Union syndicale, ce chiffre est très faible. Il comprend en outre des femmes qui ne sont pas employées dans l’industrie, mais dans l’artisanat, le commerce et l’administration.
Mais au moins ces 18 000 femmes ont compris leur situation et sont prêtes à se battre pour de meilleures conditions de vie, pour l’égalité des droits des femmes. « A travail égal, salaire égal », telle est leur devise.
Depuis plus d’un siècle, la femme n’est pas considérée comme égale en matière de salaires, comme dans d’autres domaines du travail rémunéré. Les hommes pensent avoir un privilège. Le travail des hommes et celui des femmes ne sont pas mesurés de la même manière, il existe deux mesures pour leur évaluation.

L’article complet peut être consulté dans les archives E-Periodica de l’EPF Zurich.

Image : Revue mensuelle de l’Union syndicale suisse, volume 20 (1928), “Salaires et travail des femmes”.


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N comme Nettoyer, coudre, tisser, écrire

En tant que fillette, adolescente et jeune adulte, Anny Klawa-Morf a toujours travaillé comme ouvrière textile dans des usines ou à domicile, en tant que couturière, brodeuse, tisserande ou chargée de mise sous tension des nouveaux fils de chaîne et nouage avec les anciens fils. Les conditions de travail de l’époque étaient difficiles : sous-alimentation, heures supplémentaires, mauvais salaires, inégalité des salaires entre hommes et femmes et travail pénible étaient courants.

Dans sa biographie, Anny Klawa-Morf raconte comment, alors qu’elle était employée comme tisserande, elle fabriquait des papiers peints pour la famille royale britannique à Buckingham Palace, des centaines de mètres de scènes de chasse avec des chevaux, des chiens, des feux de cheminée et des pavillons de chasse, avec des fils d’or et d’argent. En même temps, elle et ses collègues avaient du mal à subvenir à leurs besoins avec un salaire très bas. « Ils ont de telles tapisseries, et nous gagnons si peu… », pensait-elle pendant ces travaux et elle utilisait souvent cet exemple dans son activité syndicale.

Anny Klawa-Morf accepta aussi des emplois de « fille de poste » (coursière pour l’usine textile), de « bonne », de « femme de chambre », de femme de ménage, de blanchisseuse, d’aide ménagère ou de gouvernante. Dans son activité de femme politique, elle travaillait comme collaboratrice de bureau, écrivait et prononçait des discours ou publiait des articles de journaux. A l’âge de 62 ans, après le décès de son mari, elle chercha un autre emploi, car elle ne pouvait pas vivre de sa pension. Après avoir retravaillé comme femme de ménage, elle a finalement trouvé un emploi de collaboratrice de bureau à la caisse maladie de la Fédération suisse des travailleurs de la métallurgie et des ouvriers (FTMH, ancêtre de l’actuel syndicat Unia), où elle est restée 21 ans.

Anny Klawa-Morf était une ouvrière, son engagement pour de meilleures conditions de travail et un ordre mondial juste était fondé sur son expérience quotidienne des conditions de travail précaires.

Photo: Couturières dans l’atelier de couture de Scheitlin et Borner Leinenindustrie sur des machines à coudre, 1985.

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O comme Ordre, propreté

Anny Klawa-Morf a travaillé comme femme de ménage, blanchisseuse ou gouvernante et le maintien de l’ordre faisait partie de sa vie professionnelle. Mais son engagement politique pour un ordre social plus juste était bien plus important pour elle. Toute sa vie, elle a fait l’expérience de la façon dont les ouvriers étaient systématiquement exploités et désavantagés. En Suisse, au début du 20e siècle, le salaire des ouvriers suffisait à peine à couvrir les frais de nourriture, de loyer et de chauffage en hiver. Les femmes gagnaient encore nettement moins que les hommes. Il n’existait pas de système social tel que la retraite légale (Assurance-vieillesse et survivants, AVS), l’assurance chômage ou l’assurance maladie. C’est pourquoi elle était favorable à la « lutte révolutionnaire », au socialisme et à l’organisation syndicale, car elle se rendait compte que personne n’aidait les travailleurs, qu’ils devaient s’aider eux-mêmes. Dans sa biographie, elle raconte comment elle a tenu pour la première fois des discours politiques en public : « Je n’imaginais pas cette tâche facile, mais ce n’était pas si difficile de parler de ce que je vivais moi-même : la faim, la misère et la détresse »
Die Welt ist mein Haus (Le Monde est ma maison)

Dans son engagement pour un nouvel ordre politique, elle est régulièrement entrée en contact avec les gardiens de l’ordre social dominant, la police. Dès la création du Groupe des jeunes filles socialistes, Anny Klawa-Morf a été suivie par la police suisse et, plus tard, par les polices allemande et italienne. A Munich, elle a dû fuir les forces de sécurité allemandes au péril de sa vie après l’effondrement de la République des Conseils en 1919. En Italie, aux débuts du fascisme italien, elle a été emprisonnée pendant trois mois pour une remarque critique (qu’elle avait faite dans le ménage où elle travaillait) puis expulsée.

Photo : Anny Klawa-Morf avec un policier vers 1920-1930.


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P comme Politicienne

Anny Klawa-Morf a vécu une vie politique, mais faire carrière en politique lui était impossible. En Suisse, avant 1971, les femmes ne pouvaient pas voter ni exercer des fonctions politiques publiques. Anny Klawa-Morf a fondé en 1911 le Groupe des jeunes filles socialistes, a organisé de nombreuses grèves et actions de protestation et disposait d’un excellent réseau au sein du mouvement ouvrier en Suisse et à l’étranger. Au sein de la social-démocratie, les femmes avaient la possibilité d’assumer des fonctions au sein du parti, Anny Klawa-Morf était par exemple déléguée du Parti Socialiste de la ville de Berne. Mais jusqu’à l’introduction du droit de vote des femmes, elle ne put pas être élue à des fonctions publiques.

Photo : Anny Klawa-Morf, tenant un discours au Groupe des femmes socialistes de Burgdorf lors de la journée internationale de la femme, le 8 mars 1979.


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Q comme Quintes et blessures

Les meurtrissures, les blessures et la maladie ont fait partie de la vie d’Anny Klawa-Morf. Dans son foyer, elle a subi à plusieurs reprises des violences domestiques de la part de son père, jusqu’à la séparation de ses parents. Elle survécut ensuite à d’autres attaques, comme le 14 mars 1918, lors d’un discours à Leuzigen, dans le canton de Berne, au cours duquel une milice autoproclamée et conservatrice (comme il s’en créait à l’époque dans les campagnes) attaqua le groupe de jeunesse socialiste pour lequel Anny Klawa-Morf tenait un discours. Anny Klawa-Morf a réussi à s’enfuir et s’est cachée dans un coffre dans un appartement. Une autre femme, prise pour Klawa-Morf par les miliciens, fut si gravement blessée qu’elle dût être amputée d’une jambe. À l’âge de 21 ans, Anny Klawa-Morf s’est effondrée et a contracté une grave maladie à cause de la malnutrition, le surmenage et les rhumatismes. Outre les agressions physiques, elle a également survécu à de nombreuses attaques verbales, comme par exemple en 1929, lorsqu’elle récoltait des signatures pour le droit de vote des femmes et qu’elle a été insultée par certains hommes. Son combat a finalement porté ses fruits lorsque le droit de vote des femmes a été accepté par le peuple suisse en 1971.

Photo : « Voulez-vous de telles femmes ? Non au droit de vote des femmes – 50 ans de droit de vote des femmes à Bâle-ville”, affiche originale des opposants au droit de vote des femmes.

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R comme Rare oratrice

Depuis la création du Groupe de jeunes filles socialistes en 1911 et son élection au comité central de la Fédération des travailleurs du textile en 1915, Anny Klawa-Morf a tenu de nombreux discours. C’était une oratrice extrêmement habile. Au début du 20e siècle, les discours des femmes étaient inhabituels et leurs apparitions souvent inattendues. Son intervention la plus mouvementée a eu lieu le 14 mars 1918. Elle devait prononcer à Leuzigen un discours intitulé « Die Bedeutung der Schulentlassung für die Arbeiterjugend » (L’Importance de la sortie de l’école pour la jeunesse ouvrière), mais les auditeurs furent attaqués par une milice et durent prendre la fuite ; il y eut plusieurs blessés graves. Le discours fut répété le 7 avril 1918. Jusqu’à un âge avancé, Anny Klawa-Morf participa aux réunions des socialistes, où elle était très appréciée en tant qu’oratrice.

Photo : Anny Klawa-Morf tient un discours sur les marches d’une école, derrière les porte-drapeaux des Jeunesses socialistes, à Leuzigen, 2e discours, après avoir été chassée lors de sa 1e tentative, 7 avril 1918.

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S comme Socialiste

Anny Klawa-Morf a grandi dans un milieu modeste et a travaillé dès l’âge de 14 ans comme ouvrière dans l’industrie textile. En parallèle, elle s’est engagée dans le mouvement ouvrier zurichois, notamment au sein du comité de la jeunesse socialiste. En 1911, à 17 ans, Anny Klawa-Morf a fondé avec d’autres femmes le Groupe de jeunes filles socialistes et était très active dans le syndicat des ouvriers du textile. En tant que syndicaliste, elle a été mise sur une « liste noire » des employeurs et fut, dès lors, régulièrement licenciée en raison de son activité politique et eut du mal à trouver de nouveaux emplois.

Elle disposait d’un excellent réseau au sein de la social-démocratie suisse et au niveau international. En 1919, elle a rejoint l’Armée rouge près de Dachau à Munich en tant que collaboratrice de bureau, a travaillé comme secrétaire d’Ernst Toller dans la République des Conseils de Munich et a assisté à son effondrement. En 1921, elle s’est installée à Berne, où elle a adhéré à la section du Parti Socialiste de la Länggasse, dont elle restera membre pendant sept décennies. C’est là qu’elle a fondé les Rote Falken (les Faucons Rouges, d’abord Berner Kinderfreunde, les Amis des enfants de Berne), qu’elle a dirigés pendant plus de 40 ans. Les Rote Falken étaient l’œuvre de la vie d’Anny Klawa-Morf. Elle essayait de sensibiliser les enfants et les jeunes à une société solidaire, militait pour qu’ils lisent le journal et insistait pour qu’ils suivent une formation.

Anny Klawa-Morf croyait en un nouvel ordre social garantissant des conditions de vie plus justes aux personnes défavorisées. Elle s’est engagée en ce sens tout au long de sa vie au sein du mouvement socialiste.

Photo : Groupe de jeunes filles de l’Organisation de jeunesse socialiste de Zurich,
3e rang à partir de la gauche, Anny Klawa-Morf, septembre 1912.


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T comme Transferts

La vie d’Anny Klawa-Morf a été marquée par de nombreux changements de lieu. Lorsqu’elle était enfant, la famille a déménagé à plusieurs reprises en raison du chômage récurrent du père et de sa recherche d’emploi. Ces changements constants de lieu étaient un grand défi pour la jeune Anny Klawa-Morf.

En tant que jeune adulte, elle a ensuite découvert la liberté de déménager par choix. Grâce à son engagement au sein du syndicat, des groupes de femmes socialistes et du Parti Socialiste, Anny Klawa-Morf disposa également d’un bon réseau à l’international. Elle avait de nombreux amis et connaissances sur tout le continent. Elle a vécu entre autres à Zurich, Berne, La Chaux-de-Fonds, Munich et Pise. Dans la seconde moitié du 20e siècle, lorsque les voyages et la mobilité sont devenus plus faciles et qu’elle a acquis les moyens financiers de partir en vacances, elle a découvert les voyages touristiques. Elle a visité Venise, la Turquie, Israël, la Grèce et l’Espagne. Elle s’intéressait particulièrement à la manière dont vivaient les gens simples, à l’écart des grandes attractions touristiques.


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U comme Usine

En 1928, l’Exposition suisse du travail des femmes (Schweizerische Ausstellung für Frauenarbeit, SAFFA) s’est tenue à Berne. En tant que représentante de l’Union syndicale suisse, Anny Klawa-Morf était responsable des domaines du travail textile, du travail à domicile et du travail en usine. Elle souhaita exposer l’ensemble du processus de tissage jusqu’à la fabrication du tissu. Elle voulut ainsi montrer les processus de travail complexes qui étaient le plus souvent accomplis par des femmes. Les femmes travaillant dans les usines, en particulier dans le tissage, étaient à l’époque confrontées à une multitude de stéréotypes, comme la supposition que leur travail était très simple, ce qui donnait une image négative des ouvrières d’usine. Anny Klawa-Morf voulut contrer cela, par exemple en exposant le métier à tisser le plus complexe, le métier Jacquard, pour la fabrication de motifs intriqués. C’est ainsi qu’ont été produits en Suisse des tissus à motifs intriqués, par exemple pour le palais de Buckingham. L’utilisation de ce métier à tisser doté d’un système de cartes perforées et de processus de travail polyvalents était un travail exigeant. Avec l’exposition sur le travail du textile à la SAFFA, Anny Klawa-Morf permit de souligner que les femmes effectuaient dans les usines suisses des tâches importantes et difficiles et ainsi ébranler le cliché de la simple ouvrière d’usine. Elle voulait faire en sorte que le travail des ouvrières soit apprécié et que l’on cesse de parler des femmes dans les usines de manière péjorative. Sa volonté de montrer le tissage jacquard l’a emporté sur les désirs de l’association des industriels, et le métier à tisser a attiré un public très nombreux lors de l’exposition.

Photo : SAFFA 1928, photo de groupe du comité « Industrie et travail à domicile » – Anny Klawa-Morf assise au bout du premier rang à droite.


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V comme Verdingkinder (enfants placés)

La mère d’Anny Klawa-Morf, Emma Morf-Ledermann, née en 1865, était originaire du village de Schwarzhäusern dans le canton de Berne. Neuvième enfant de la famille, elle fut placée à l’âge de trois ans dans une autre ferme. Elle souffrait de la faim, d’un travail pénible et de vêtements insuffisants. Après quelques années, elle a été placée dans une autre ferme, plus grande, où elle a au moins reçu de meilleures chaussures, des vêtements et plus de nourriture. Plus tard, elle a travaillé en Argovie comme servante et n’a plus eu de contact avec ses frères et sœurs. En 1891, les parents d’Anny Klawa-Morf se sont mariés. La famille vécut d’abord à Bâle, puis à Herisau et à Zurich. Plus tard, la mère d’Anny Klawa-Morf a rejoint Janis et Anny Klawa-Morf à Berne.

Du 19e au 20e siècle, des centaines de milliers d’enfants ont été placés en Suisse. En 1904, une enquête a été menée sur le nombre d’enfants placés dans 12 cantons suisses. A cette époque, environ 300 000 enfants placés travaillaient, pour la plupart dans des fermes. Les autorités retiraient les enfants de familles trop pauvres pour nourrir tous leurs membres mais souvent aussi les enfants de divorcés ou les orphelins. La pauvreté n’était pas considérée comme un problème social, mais comme une faute individuelle. On estimait que les parents pauvres avaient une influence négative sur leurs enfants, en particulier les enfants illégitimes ou issus de familles divorcées. Les enfants placés en famille d’accueil étaient souvent contraints d’effectuer des travaux pénibles, le plus souvent dans des fermes, et étaient victimes de diverses formes d’abus. Les abus faisaient rarement l’objet d’enquêtes et les familles d’accueil n’étaient guère contrôlées par les autorités. Ce n’est qu’en 1978 que la protection des enfants placés a été explicitement inscrite dans la loi. L’histoire des placements forcés et des enfants placés a longtemps été passée sous silence et refoulée en Suisse. Ce n’est qu’en 2013 que la Suisse a présenté des excuses officielles aux personnes concernées pour la défaillance des autorités. En 2014, Guido Fluri, lui-même ancien enfant placé, a lancé l’initiative « Réparation pour les enfants placés et les victimes de mesures de coercition à des fins d’assistance » (initiative de réparation) qui demandait à ce que le sujet soit traité et que les enfants placés soient indemnisés. Fluri a retiré l’initiative en raison d’un contre-projet indirect et une loi fédérale sur l’étude des mesures de coercition à des fins d’assistance et des placements extrafamiliaux antérieurs à 1981 (AFZFG) a été imposée. Les anciens enfants placés ont reçu des excuses et 25 000 CHF de dédommagement. Plus de 9000 personnes concernées se sont manifestées auprès de l’Office fédéral de la justice. Le nombre d’enfants placés encore en vie est probablement bien plus élevé, mais nombre d’entre eux évitent tout contact avec les autorités publiques.

Photo : Anny Klawa-Morf avec son mari Janis Klawa et sa mère Emma Morf-Ledermann sur un chemin de promenade, 5 octobre 1941, Worb.


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W comme World Wars

Anny Klawa-Morf a vécu les deux guerres mondiales. Elle était une pacifiste convaincue et participa par exemple au Congrès de Bâle en 1912, congrès pour la paix organisé par la Deuxième Internationale à la cathédrale de la ville. Après la Première Guerre mondiale, elle a rejoint la République des Conseils de Munich en tant que collaboratrice de bureau. Après l’effondrement de la République des Conseils, elle a été incarcérée avec d’autres socialistes à la prison de Stadelheim, mais a heureusement pu repartir pour la Suisse après quelques mois. Pendant la guerre civile espagnole des années 1930 entre les forces démocratiques et le général Francisco Franco, dictateur de droite, elle s’est engagée auprès de l’Œuvre Suisse d’Entraide Ouvrière (OSEO). Elle a organisé de nombreuses actions de soutien dans le canton de Berne. Avec des bénévoles de l’Aide Suisse à l’Espagne, elle a cultivé des aliments et les a envoyés, avec des vêtements et d’autres marchandises, dans les camps de réfugiés en France et en Espagne. Dans le camp de Gurs en France, Anny Klawa-Morf a retrouvé Gabriel Ersler, un jeune Polonais d’origine juive qui avait étudié la médecine à Berne et aidé les Faucons Rouges. Il a combattu pendant deux ans pour la brigade internationale pendant la guerre civile espagnole et s’est retrouvé dans le camp de Gurs après l’effondrement de la République. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle n’a pas eu de ses nouvelles pendant longtemps et craignait qu’il ait été déporté. Il l’a cependant contactée des années plus tard et, dans les années 1970, elle lui a rendu visite en Israël.
Anny Klawa-Morf a vécu avec colère et tristesse la montée d’Hitler en Allemagne et le déclenchement d’une nouvelle guerre. Elle a perdu plusieurs amis allemands et juifs qui ont été persécutés, déportés dans des camps de concentration et tués par les nazis. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a elle-même travaillé pour la Croix-Rouge à Zurich et à Chiasso, aidant notamment au transport de matériel et de blessés.

Pacifiste convaincue, Anny Klawa-Morf a toujours défendu les personnes en danger, s’est engagée contre le fascisme et pour que les travailleurs se solidarisent entre eux au niveau international au lieu de s’affronter
sur le champ de bataille en fonction des frontières nationales.

Photo : Le médecin Gabriel Ersler, 1939.


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X comme Karl MarX

Jeune adulte, Anny Klawa-Morf lisait les théories de Karl Marx. Dès 1915, elle participa à Zurich à un groupe de discussion socialiste sous le nom de code Kegelclub (club de bowling). Les participants lisaient tous les livres de Marx, chapitre après chapitre, et en discutaient à l’aide d’exposés – ce système avait été proposé par le révolutionnaire russe Vladimir Ilitch Lénine, qui faisait également partie du « club de bowling ». Outre Marx, les participants ont discuté de la politique foncière, de la politique communale, du rôle des femmes et de la manière de parvenir à une société socialiste. D’autres figures connues du mouvement ouvrier comme Radek, Charitonov, Silny, Ellenbogen, Zinoviev, Bronski ou Grünberg et Platten, qui se trouvaient à Zurich à ce moment-là, participèrent également aux discussions.

Anny Klawa-Morf a souvent discuté de Marx avec l’intellectuelle ukrainienne Angelica Balabanoff, qui vécut un certain temps à Zurich dans les années 1910. Dans sa biographie, Anny Klawa-Morf se souvient à quel point Marx était proche d’eux à l’époque.

Les écrits de Marx ont accompagné Anny Klawa-Morf toute sa vie – lorsque l’historienne et réalisatrice Annette Frei Berthoud a commencé à lui rendre régulièrement visite à Berne pour produire un film et un livre sur sa vie, Klawa-Morf était alors à un âge avancé. L’historienne a repéré, entre autres, les écrits de Marx dans l’appartement de Klawa-Morf.

Photo : Membres du club de bowling Krisenhilfe (aide de crise) posant avec des salamis, vers 1930.


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Y comme EmmY et RösY

Emmy et Rösy étaient les sœurs d’Anny Klawa-Morf avec lesquelles elle était encore en contact à un âge avancé. Dans un foyer où son père était absent et sa mère active, elle aidait sa mère dans ses travaux à domicile, tandis que sa sœur aînée Emmy s’occupait du ménage. Durant leur jeunesse et à l’âge adulte, Emmy et Anny en particulier se disputaient souvent, mais elles restèrent en contact même à un âge avancé.

Lorsque Anny Klawa-Morf tomba malade en 1924 et 1925, qu’elle dut être opérée et qu’elle souffrit à nouveau d’une phlébite, sa mère et sa sœur Rösy vinrent à Berne et prirent soin d’elle pendant une longue période. Sa mère et ses trois sœurs ont toutes vécu plus de 80 ans. Anny Klawa-Morf a travaillé jusqu’à 85 ans et a continué à assister aux manifestations de la section locale Länggasse du Parti Socialiste. Elle est décédée dans sa 100e année.

Photo : Les trois sœurs et leur mère : de gauche à droite : Rösy Morf, Anny Klawa-Morf, Emma Morf-Ledermann, Emmy Morf, env. 1940-1945.


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Z comme Zurichoise – La grève générale de 1912

La dernière lettre de cet alphabet, Z, concerne la grève générale zurichoise de 1912. La période entre le tournant du siècle et la Première Guerre mondiale a été la plus riche en grèves de l’histoire suisse. La grève générale zurichoise de 1912 s’inscrit dans la lignée de nombreuses autres grèves et actions de protestation qui ont culminé en 1918 avec la grève nationale suisse. Les motifs de cette vague de grèves (la grève générale genevoise de 1902, la grève zurichoise de l’été 1906, la grève des ouvriers du bâtiment de Winterthour de 1909-1910, la grève des travailleurs zurichois de 1912, la vague de grèves de 1914 et la grève nationale de 1918) étaient l’inflation élevée combinée à des salaires bas et à de longues heures de travail. Le nombre de membres de l’Union syndicale suisse est passé de 12 000 au début du siècle à 86 000 en 1913.

A l’été 1912, l’assemblée des délégués de l’Union ouvrière, dont Anny Klawa-Morf faisait partie, a voté en faveur de la grève générale zurichoise. Au total, environ 20 000 travailleurs participèrent à la grève. Anny Klawa-Morf a distribué avec d’autres jeunes dans le quartier industriel de Zurich des tracts appelant à ne pas ouvrir les usines le 12 juillet 1912. Le 12 juillet, elle bloqua elle-même un tramway avec d’autres personnes, empêcha les livraisons des paysans et fit partie du cortège de la manifestation jusqu’à la pelouse Sihlhölzli. En outre, elle reçut du secrétaire ouvrier Max Bock la mission de récupérer les livres de procès-verbaux de la Maison du Peuple afin qu’ils ne tombent pas entre les mains de la police, ce qu’elle réussit à faire. Grâce à sa participation à la grève, Anny Klawa-Morf a eu le courage de faire adopter à l’usine textile des mesures de protection ainsi que de créer un poste de femme de ménage.

La grève des travailleurs zurichois est également connue parce que les autorités zurichoises avaient interdit les rassemblements et manifestations et mobilisèrent des troupes contre les manifestants. Suite à la grève générale, des perquisitions policières eurent lieu dans tous les secrétariats des organisations ouvrières de la ville de Zurich. Le 15 juillet, la Volkshaus fut occupée par la police et l’armée, et le comité directeur de l’Union ouvrière arrêté. Cependant, comme les procès-verbaux d’Anny Klawa-Morf et de sa collègue purent être sortis clandestinement, les preuves les plus importantes n’ont pas été retrouvées. Le 18 juillet, 13 étrangers ayant participé à la grève ont été expulsés et d’autres meneurs de grève ont été licenciés parmi le personnel municipal. Par la suite, un comité de soutien aux accusés, aux licenciés et aux expulsés s’est formé. Il a collecté de l’argent pour les personnes réprimées (10 000 francs au cours des trois premières semaines), a organisé d’autres manifestations de protestation et est resté actif jusque vers 1915.

Photo : Grève générale du 12 juillet 1912 à Zurich.


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Cet alphabet a été élaboré par la Fondation Anny-Klawa-Morf en collaboration avec Nadine Honegger, Simeon Marty et Beda Baumgartner.