Le féminisme au défi de l’isolationnisme et du fédéralisme

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Kaya Pawlowska

Le cinquantième anniversaire du droit de vote des femmes en Suisse a un goût amer. Nous souhaiterions nous en réjouir si les femmes étaient pleinement citoyennes, mais les lois et les pratiques sociales de notre pays sont encore imprégnées du patriarcat. L’inégalité salariale, les discriminations professionnelles liées à la maternité, les violences faites aux femmes ou la précarité à la retraite sont parmi les plus prégnantes. Cet anniversaire de 50 ans est l’occasion de reconnaître le défi structurel qui fait obstacle aux changements en Suisse. Pour y faire face, nous devrons avancer unies, toutexs les féministes et les mouvements progressistes de ce pays.

L’isolationnisme de la frange conservatrice a souvent rendu la Suisse imperméable aux influences extérieures et maintenu le pays dans un certain immobilisme social après la seconde guerre mondiale. Une pression internationale importante s’avère souvent nécessaire pour le gouvernement suisse adopte un agenda progressiste. Par trois fois, l’octroi de droits aux femmes suisses s’est fait grâce à des facteurs externes au pays. En 1968, la Suisse s’apprête à signer la Convention des droits de l’Homme et envisage de mettre une réserve au droit de vote des femmes. Le mouvement de Mai 68 et du MLF rendent cela impensable et le Conseil fédéral se résout à organiser une votation sur le suffrage féminin en 1971. En 1993, alors que le peuple suisse a rejeté l’adhésion à l’EEE, le Conseil fédéral préconise la création de la Loi sur l’égalité pour son eurocompatibilité. Il s’agit d’un geste de bonne foi qui sert à promouvoir l’image d’une Suisse moderne et soucieuse de l’égalité des genres auprès de ses voisins européens. La Grève féministe de 1991 aura aidé à sceller le deal. En 2013, la Suisse ratifie la Convention d’Istanbul sur la violence faite aux femmes à la suite d’un compromis non officiel avec la droite que les lois ne requerront pas de modifications. Or, l’incursion de cet élément extérieur dans le droit suisse vient fertiliser les combats féministes et fait mûrir, entre autres revendications, l’introduction de la notion de consentement comme l’un des éléments objectifs d’une violence sexuelle. Nonobstant, l’isolationnisme reste une tendance politique à la mode dans le pays. Les Collectifs pour la Grève féministe, dont je fais partie, doivent trouver une voie de résistance dans l’appui à un féminisme transnational et la promotion d’une Grève féministe mondiale chaque année le 8 mars. Les droits acquis par les femmes* dans d’autres pays sont considérés comme une avancée pour toutes les femmes*. La solidarité avec les femmes* du monde entier est la meilleure garantie contre l’isolationnisme.

Le fédéralisme est une forme d’organisation spécifique à la Suisse née de plusieurs compromis. L’un d’eux, l’introduction des outils de la démocratie semi-directe, est une concession faite aux cantons conservateurs au XIXème siècle. Elle garantit l’autonomie des cantons vis-à-vis de l’Etat. Par la suite, ce système est sacralisé comme le « système politique parfait » par la population et retarde à multiples reprises l’octroi de droits aux femmes au niveau fédéral. Il faudra 14 votations cantonales et deux votations fédérales pour le suffrage féminin fédéral. Pourtant, la votation de 1971 n’aura exercé un effet contraignant sur tous les cantons qu’à la suite de l’adoption de l’article constitutionnel pour l’égalité entre les hommes et les femmes en 1981. Du fait du nouvel article 8 Cst. , le Tribunal fédéral a pu contraindre le canton d’Appenzell Rhodes-Extérieurs à étendre aux appenzelloises le droit de vote. Cet exemple bien connu est le plus extrême mais il fait office d’exception. En revanche, le vrai schisme fédéral en matière d’égalité des genres se cache de manière plus discrète dans les différences entre les politiques publiques cantonales. L’autonomie cantonale est très large en la matière. D’une part, un canton comme Genève peut choisir d’adopter une loi sur les discriminations liées au genre qui prévoit le décompte des féminicides sur son territoire. D’autre part, un canton comme Zug peut décider de supprimer sa Commission pour l’égalité en 2011, puis son poste de Délégué à l’égalité en 2017. Cette dernière proposition est volontairement provoquante car le Canton de Zoug a finalement été condamné dans les deux cas par le Tribunal fédéral. Néanmoins, il faut relever que Zoug a été condamné en vertu de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) et non pas en vertu de l’art.8 Cst. Ainsi, le fédéralisme ressort intact de cet exercice juridique, mais pas la Constitution. Le principe d’autonomie cantonale sert de cache-sexe pour le conservatisme de certains cantons au détriment des droits des femmes* qui y vivent.

En conséquence, il me semble important de resserrer les liens entre féministes dans tout notre pays. C’est pour cela que je m’engage davantage dans les Femmes socialistes suisses. Dans les Collectifs de la grève féministe, j’ai aussi organisé un groupe de travail commun à toute la Romande pour organiser la campagne sur la réforme pénale sexuelle. Si nous parvenons à nous coordonner avec les suisses-allemandes, notre message d’union forcera le respect. De la même manière que la Grève féministe du 14 juin 2019 qui avait réuni un demi-million de femmes* et marqué l’histoire de la Suisse.

Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles de la Fondation Anny Klawa Morf.

Sur l’auteur : Kaya Pawlowska est issue de la 4ème vague féministe. Engagée dès 2012 dans le mouvement féministe contre les violences sexistes et sexuelles, elle milite au sein de la grève féministe depuis deux ans sur ces thématiques. Elle est aussi co-présidente du groupe égalité (section PS Femmes) du PS genevois.